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Inconscient et lutte des classes - Alain Juranville, Philosophe

Articles et conférences

Article pour L’Humanité-Dimanche

Notre temps est celui de la mondialisation. Le capitalisme à la fois s’y impose partout et, plus que jamais, y pose problème. L’inconscient tel que Freud l’a introduit et tel que Lacan l’a réinterprété a-t-il, face à cela, une portée politique ? 

On doit reconnaître d’abord que, contrairement à bien des idées reçues, l’inconscient censé être libérateur, voire émancipateur, montre le caractère indépassable du capitalisme. C’est ce à quoi s’en sont tenus Freud et Lacan. Comme Michel Onfray l’a rappelé polémiquement dans son livre récent Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne. 

Mais on doit souligner ensuite, ce que j’ai proposé dans mon ouvrage Inconscient, capitalisme et fin de l’histoire (PUF, 2010), que, si la philosophie reprend l’inconscient dans sa perspective à elle, ce qui apparaît, c’est que l’établissement d’une justice possible dépend entièrement des luttes sociales et politiques qui se déroulent autour du capitalisme. 

Commençons par éclairer le point de vue de la psychanalyse par laquelle, primordialement, est affirmé l’inconscient. Suivons brièvement, à ce propos, la célèbre théorie lacanienne des quatre discours. Et indiquons comment  y prend place le capitalisme.

L’affirmation de l’inconscient s’élève contre le discours dominant dans le monde social. Contre ce que Lacan appelle le discours du maître. Dans le discours du maître, celui qui parle est supposé avoir la vérité en lui. Mais une telle vérité supposée, qu’il eût fallu véri-fier, s’approprier douloureusement, provoque en l’autre homme un fondamental refus ; l’autre se soumet, fasciné, il s’aliène à celui qui parle ; il se réduit complaisamment au déchet devant celui-là et, pour autant qu’il est socialisé et qu’il a acquis un savoir, il produit un objet (objet-déchet) qu’il va offrir au premier. C’est ce que Marx appelait plus-value et que Lacan désigne comme le « plus-de-jouir ». La plus-value n’est en rien, pour Lacan à la différence de Marx, une part de la pulsion de vie ou puissance créatrice du travailleur qui aurait été extorquée à celui-ci et qui devrait lui être rendue. Elle est une part de sa pulsion de mort. C’est-à-dire une part de son refus de s’ouvrir à la vérité surgissant en l’Autre. Ou encore une part de sa complaisance à s’écraser devant une idole, devant un Autre qui, fantasmatiquement, resterait clos sur soi. Le discours du maître, qui fixe socialement l’aliénation inéliminable, constitutive de l’humain, est celui qui installe le capitalisme.

Certes celui qui s’est laissé entraîner à l’aliénation sera conduit, parce qu’il en souffre aussi, à tenir à son tour un discours — un discours où il en appelle à un Autre qui le délivre de cette souffrance et de l’aliénation en général. Mais, dans ce discours qui s’adresse à un maître voulu bon, il reste pris dans l’aliénation au maître ; par la répétition de sa plainte, il fait venir chez celui qui incarne ce maître le savoir auquel le maître était censé donner vérité et principe ; et il tente de le capter dans la mythique jouissance sexuelle originelle où lui-même reste pris. C’est, pour Lacan, le discours de l’hystérique qui, dit-il « maintient dans l’institution discursive la question de ce qu’il en est du rapport sexuel ». Discours de ceux qui, bien loin de vouloir réellement être délivré de l’aliénation, en redemandent : ils consentent à l’avance à l’exploitation.

Or, quand ledit bon maître qui a accédé au savoir se décide à répondre aux sollicitations de ceux qui revendiquent, il le fait en tenant un discours nouveau qui se prétend libérateur. Un discours qui s’oppose au discours du maître, et où la vérité, cette fois-ci, n’est plus en celui qui parle, mais en un Autre au service duquel il se met. Mais celui qui parle déplace alors simplement vers lui-même (avec son savoir), et éminemment vers l’Autre auquel il renvoie et, en général, vers les maîtres qu’il se suppose, l’aliénation où sont pris les autres. Et simplement il les fait souffrir radicalement de cette aliénation, il leur fait éprouver qu’ils devraient à leur tour accéder au savoir. Discours de l’université, dit Lacan. Discours de la science, dit-il aussi. C’est celui encore de la bureaucratie qui se met au service du maître capitaliste et qui soumet tous les hommes à l’exigence du travail. 

Ce qu’il faut donc, si l’on veut libérer de l’aliénation inéliminable, c’est, là où on allait être pris pour maître, s’effacer comme tel et établir l’autre homme dans sa vérité. C’est ce que fait le discours où est affirmé l’inconscient. Discours de l’analyste, pour Lacan. Affirmer l’inconscient, c’est affirmer que la vérité est en l’autre homme, dans son symptôme même, et qu’il lui suffira de parler librement pour qu’advienne cette vérité. Et c’est l’engager, par là, à assumer heureusement sa finitude, sa pulsion de mort, son aliénation, sa sexualité, comme est censé l’avoir déjà fait l’analyste ; c’est l’engager à se séparer. Cette séparation est le propre de l’individu qu’est l’analyste et qu’a à devenir le patient. « Plus on est de saints, plus on rit, c’est là mon principe, voire la sortie du discours capitaliste », dit Lacan. Mais il précise aussitôt : « Ce qui ne constitue pas un progrès, si c’est seulement pour certains ». Car pareille sortie n’est jamais sûre (il y faut le travail de la cure), et jamais totale (la pulsion de mort demeure).

Mais en quoi l’inconscient donne-t-il néanmoins une place majeure aux luttes sociales et politiques ? La philosophie en tout cas ne peut pas s’en tenir à l’idée de Lacan que seul le discours psychanalytique serait vrai, libérateur et s’ouvrirait à son Autre.

La philosophie en effet est menée constitutivement par l’exigence de justice. N’est philosophie que ce qui, conformément à ce qu’ont introduit Socrate et Platon, d’une part proclame un savoir nouveau et vrai, absolument rationnel, au-delà du savoir ordinaire ; d’autre part pose que ce savoir vrai a à être reconstitué par chacun dans l’épreuve du non-savoir, de la contradiction, de l’objection venue de l’autre homme, à travers le dialogue. De là le caractère politique de la philosophie. Ce qui débouche socialement, d’un côté, sur l’institution de l’État comme structure rationnelle pure à quoi sont soumis ceux qui appartiennent à la société. De l’autre côté, sur l’établissement du droit comme ensemble des conditions que l’homme doit recevoir pour pouvoir s’accomplir comme individu. Par cet État et ce droit la philosophie suppose qu’il doit y avoir une vérité du discours du maître, au-delà de ce que ce discours est ordinairement.

Mais l’exigence de justice de la philosophie se heurte alors au fait social primordial qu’est le paganisme. Le paganisme est produit socialement par la pulsion de mort, par la tendance à l’aliénation. Il a en propre, d’une part, la fabrication de l’idole dans laquelle est supposée résider par excellence l’identité close sur soi que l’homme voudrait, mais ne peut complètement, s’assurer à lui-même. D’autre part, l’exercice, au profit de l’idole, d’une violence sacrificielle contre quiconque tenterait de s’arracher aux maîtres et modèles incarnant la loi de l’idole, de s’affronter à la finitude ou pulsion de mort, et de devenir individu. Du monde traditionnel païen, Lacan souligne qu’il n’est pas régi par le discours du maître, mais par un savoir mythologico-sexuel qu’il rattache au discours de l’hystérique — ce qui, du point de vue de l’histoire, doit être dit discours du peuple. Il y a, au fond de la communauté qu’est le peuple et de son discours, une horreur de l’individu comme tel. Et pourtant il devra y avoir aussi, pour la démocratie à venir, une vérité du peuple et du discours du peuple.

Or ce paganisme est inéliminable ; il faudra à la philosophie l’assumer dans son entreprise politique, pour autant qu’il peut s’accorder avec le droit ; et cela caractérise précisément le capitalisme. Car le capitalisme est certes prolongement du système sacrificiel du paganisme : l’idole est devenue l’argent ; et la violence sacrificielle, le contrat de travail, comme l’a dit Marx. Mais le capitalisme est la forme minimale de ce paganisme, de ce mal social foncier, parce qu’il est lié constitutivement au droit (d’abord la propriété), Marx le souligne sans cesse également. La philosophie aura donc, à la fin de l’histoire, à assumer complètement le capitalisme, à l’instituer. Cela contre toute tentative de régression païenne (les totalitarismes), et quand le temps sera venu (après l’Holocauste) de fixer définitivement l’inéliminable du mal en l’homme, de sa pulsion de mort. Ce que Lacan présente comme discours universitaire­ — et qu’avec l’histoire on doit dire plutôt discours du clerc — est alors le cadre, élevé à sa vérité, où s’énonce le discours qu’est la philosophie. Encore faut-il que le droit alors déterminé soit le droit juste.

C’est donc par la lutte, par les luttes sociales et politiques qu’elle inspire (explicitement ou non), que la philosophie réalise la justice dans l’histoire. Cette lutte est bien de l’ordre de ce que Marx appelle lutte des classes. Elle est lutte contre le droit positif, qui devient sans cesse injuste parce que, quand un homme s’est individualisé, les autres se laissent fasciner par ce qu’il a acquis de propriété, lui-même tendant à abuser de la situation. Et lutte au nom du droit naturel, absolument rationnel. Elle est lutte contre l’ordinaire discours du maître. Et lutte au nom du peuple, du discours du peuple, mais menée par le discours clérical (intellectuels, syndicalistes, cadres du parti, clercs de toute espèce). Avec, au fond, la violence païenne toujours possible du peuple qui cherche des boucs-émissaires. Mais avec aussi la possibilité que s’éveille la vérité du peuple souverain comme fondement de la démocratie. Cette lutte est une lutte sans fin, toujours à recommencer (il n’y a pas de lutte finale) ; elle est toujours en fait lutte contre soi, comme dans la cure psychanalytique où il s’agit de triompher de l’image fascinante par laquelle sans cesse on se laisse capter. Elle peut se pervertir en régression païenne si le discours clérical devient idéologie et s’il veut soumettre tout autre discours. Mais elle doit conduire, si le discours clérical reste philosophie, à l’acceptation de tous les autres discours fondamentaux. Dans un compromis entre les discours ou classes qui caractérise la démocratie réelle, représentative. Et auquel le peuple devra donner sa sanction — car en lui seul finalement la vérité trouve confirmation.